République batave

Emblème de la République batave

On va s’attaquer aujourd’hui à la période où les Pays-Bas actuels étaient sous domination française. Une période très chaotique, où, devant s’aligner sur une France où la situation est parfaitement instable, le pays va changer de constitution comme de chemise. Mais, malgré la main mise de la France dans les affaires néerlandaises, les Pays-Bas conservent une part d’indépendance, que les Néerlandais mettent à profit au maximum. Trop du goût de Paris, en fait. Les relations entre les deux « républiques sœurs » sont donc tendues. Et ça ne va pas aller en s’améliorant.

Pour commencer, une question de nom : jusqu’en 1795, le pays s’appelait « Provinces-Unies ». Mais avec l’établissement de la République batave, ce nom disparaît, pour la simple et bonne raison que les vieilles provinces sont supprimées et le territoire redécoupé en huit départements. Sur cette période, on utilise généralement le nom du régime. République batave, donc. Batavie, parfois. Mais, comme on va le voir, les régimes, à cette époque, ça va et ça vient. Donc je vais commencer à m’autoriser à nommer le pays « Pays-Bas ».

La République batave en 1798, carte par Joostik

Pourquoi « batave », cette république ? Nostalgie d’un passé lointain censé être plus glorieux ou simplement meilleur. Les Bataves, j’en avais parlé dans mon tout premier article d’histoire : c’est un peuple qui s’est installé à l’embouchure du Rhin au Ier siècle avant notre ère. Et qui a disparu vers le IIIème siècle. Une partie s’est vraisemblablement romanisée mais le plus gros morceau s’est assimilé aux Francs. Que les Néerlandais se disent bataves, c’est à peu près aussi absurde que les Français qui parlent de « leurs ancêtres les Gaulois ». Mais, eh, c’est la grande époque de la création des épopées nationales, où chaque pays s’invente une histoire. Les Néerlandais ne font pas exception.

En 1795, donc, naît la République batave. Comme je le disais à la fin de l’épisode précédent, celle-ci naît sous la domination de la France révolutionnaire. Initialement des libérateurs, les Français se transforment en occupants. Heureusement pour eux, les Patriotes néerlandais avaient anticipé, c’est pour cette raison qu’ils ont organisé des soulèvements dans les grandes villes quand l’armée française est entrée dans le pays. De cette façon, ils étaient en position d’obtenir des concessions de la part des Français. Pas qu’ils pouvaient imposer quoi que ce soit. Mais les Français ont revu leurs demandes à la baisse. Et la République batave a gardé un semblant d’indépendance. En tout cas pendant un temps.

Quand je dis que cette nouvelle république naît en 1795, c’est en réalité une simplification : il y a un trou pendant lequel le pays n’a pas d’organes de pouvoir clairement établis. Il faut attendre 1796 pour qu’une première Assemblée nationale fraîchement élue se rassemble. Et l’adoption d’une constitution va encore prendre deux ans.

Première Assemblée nationale néerlandaise, en 1796

La raison à ce délai, c’est l’opposition entre deux camps : d’un côté les fédéralistes, qui veulent garder les vieilles provinces, qui conserveraient une part importante d’indépendance les unes des autres, et simplement aménager le fonctionnement de l’ancienne république ; de l’autre les unitaristes, qui, comme leur nom l’indique, veulent au contraire unifier le pays. L’un des points centraux de cette opposition, c’est la dette colossale du pays. En réalité, cette dette, c’est surtout, à 70%, celle de la Hollande. Or pour les unitaristes, les dettes devraient être payées au niveau national. Tandis que les fédéralistes sont partisans du chacun pour soi.

L’Assemblée nationale élue est à majorité fédéraliste et modérée… mais ce sont les unitaristes qui l’emportent, en faisant appel aux révolutionnaires français, qui leur sont favorables. Une fois les fédéralistes arrêtés ou forcés à la démission, début 1798, bizarrement, une constitution unitariste ne tarde pas à être adoptée. D’où le redécoupage en départements.

À partir de 1798, la République batave est ainsi dirigée par un directoire exécutif, sorte de gouvernement, curieusement semblable à celui qu’il y a en France au même moment. Mais, chose à noter, l’Assemblée nationale est élue au suffrage universel… masculin, forcément, parce que, bon, faut pas rêver, on est encore au XVIIIème siècle… mais quand même.

Costume officiel d’un membre du Directoire

Sauf que les unitaristes qui ont pris le pouvoir se font renverser six mois plus tard par un nouveau coup d’état. On garde la même constitution mais cette fois, le directoire est élu.

Ce nouveau coup d’état, on pouvait le voir venir. Le directoire unitariste abusait complètement de son pouvoir : ils interdirent pratiquement à tous leurs opposants de se présenter aux élections, en arrêtèrent un bon paquet et imposèrent leurs propres représentants comme « réélus automatiquement ». Le suffrage universel, dans ces conditions, ça ne valait pas grand-chose.

Ceci dit, je ne voudrais pas vous donner une fausse impression : aux Pays-Bas, il n’y eut jamais de Terreur comme en France et les arrestations et purges restèrent, comparativement, très limitées. La tradition néerlandaise de toujours négocier et chercher un compromis est solidement ancrée depuis déjà deux siècles. Et la guillotine, ici, reste au placard.

L’année suivant ces événements, la guerre revient sur le territoire néerlandais. Si vous vous souvenez de l’article précédent, la France révolutionnaire est en guerre contre une grande partie de l’Europe depuis 1792. La Première Coalition s’est disloquée mais la Grande-Bretagne, qui la menait, n’a jamais fait la paix avec la France. En 1798, elle forme une Seconde Coalition avec, notamment, la Russie.

Sur terre, l’armée de la République batave ne représentait pas une menace sérieuse pour la coalition. En revanche, sa marine était un vrai problème : du temps du stadhouder, elle avait été (enfin) renforcée lors de la Quatrième Guerre anglo-néerlandaise. Et depuis l’avènement de la nouvelle république, celle-ci fait un effort considérable pour en refaire une force majeure.

Caricature de Guillaume V pendant son exil, par James Gillray

Cette marine batave est handicapée par un manque de commandants, ceux en place, orangistes, refusant de défendre la nouvelle république. La flotte est donc dirigée par des gens à la compétence approximative. Il n’empêche qu’elle représente un danger pour la Grande-Bretagne : la France manque justement d’une marine digne de ce nom mais avec l’aide de la marine batave, elle pourrait bien faire un débarquement sur le sol britannique.

Rajoutez à cela un stadhouder déchu qui veut absolument retrouver son pouvoir et qui fait de son mieux pour motiver la coalition à le remettre en place dans son pays. La Seconde Coalition ne tarde pas à tourner son attention de ce côté-là.

Débarquement de Calantsoog, par Dirk Langendijk (1799)

Le 27 août 1799, une force anglo-russe réussit un débarquement près de Callantsoog, dans la pointe nord de la Hollande (ou du département de Tessel, selon la nouvelle carte politique du pays). Les forces franco-bataves se regroupent rapidement pour la repousser avant que des renforts ne lui parviennent… mais, mal dirigées, à la bataille de Krabbendam le 10 septembre, elles se font décimer. Presque au sens strict, avec un ratio de 8 morts pour 100 hommes. (Décimer, au départ, c’est d’en tuer 1 sur 10, si vous l’ignoriez. On est à 0,8 sur 10 : pas loin.)

Cette seconde défaite permet aux renforts de la coalition d’arriver. L’armée franco-batave se retrouve alors en nette infériorité numérique (23 000 contre ~37 000). Mais les coalisés ont quand même fait un mauvais calcul sur un point : leurs espions dans la République batave, tous orangistes, forcément, grossissaient beaucoup la popularité de la maison d’Orange-Nassau dans leurs rapports. Les Anglais étaient du coup persuadés qu’à leur arrivée, le peuple néerlandais se soulèverait contre le gouvernement batave et réclamerait le retour du stadhouder.

Guillaume VI d’Orange-Nassau

Pour aider à cela, le nouveau prince d’Orange, fils de Guillaume V, qui s’appelle, eh bien… Guillaume VI – quelle originalité -, vient en personne. Alors, certes, la vue de son drapeau a provoqué une mutinerie générale sur les navires néerlandais, qui laissent Britanniques et Russes débarquer sans combat. Mais dans la suite, c’est plutôt le contraire qui va se passer. D’une part, le prince, plutôt arrogant, ordonne plus qu’il ne demande aux Néerlandais de se soulever pour lui, comme s’ils le lui devaient… ce qui ne plaît pas spécialement. Et puis le retour des Orange-Nassau rendu possible uniquement grâce à une invasion étrangère, ça ne rend pas l’opération très populaire, bien au contraire. Ça a surtout pour effet d’unifier les Néerlandais contre l’invasion.

Bataille de Bergen

Le 19 septembre, c’est la bataille de Bergen. Grâce à leur connaissance du terrain particulier de la région (On est en Hollande, donc : polders et canaux.), l’armée franco-batave l’emporte malgré son infériorité numérique, du moins d’un point de vue tactique. Elle a moins de morts à déplorer que ses adversaires mais c’est surtout parce qu’elle les empêche de faire le moindre progrès qu’on peut la considérer comme victorieuse. Les Néerlandais avaient rompus quelques digues et cela laisse le temps à la mer d’envahir les polders. Toute avancée devient donc très compliquée pour l’armée anglo-russe.

Le 2 octobre, pourtant, à la bataille d’Alkmaar (qui se passe essentiellement du côté de Bergen – encore), les forces anglo-russes parviennent à faire une légère percée, en profitant de la marée basse pour passer par la plage. Néerlandais et Français sont contraints de se replier sur une seconde ligne de défense.

La Bataille de Castricum, par Jan Antoon Neuhuys (1799)

À ce stade, Anglais et Russes contrôlent pratiquement toute la péninsule de Hollande-Septentrionale. Mais quelle péninsule ! Tous les polders ont été inondés. Ce qui pose de gros problèmes pour le ravitaillement : faire venir de quoi nourrir 30 000 hommes à travers des polders inondés, ce n’est pas vraiment du gâteau. Leur situation est pour le moins précaire et ils le savent. Ils doivent avancer et vite.

Cela débouche le 6 octobre sur la bataille de Castricum, où tout se joue. Les combats sont acharnés : chaque camp capture, re-capture et re-re-capture le village au cours de la journée. Ne pouvant faire de progrès, les Anglais comprennent que leur position est intenable. La décision est prise de se replier. Pas simplement aux positions d’avant la bataille. Mais de revenir tout au nord de la péninsule, où ils avaient débarqué.

Ils espèrent pouvoir y présenter une défense plus solide. Mais l’hiver approche, les Néerlandais se préparent à les assiéger et les stocks de nourriture des Anglais sont très limités. Ils capitulent sans combat supplémentaire, le 18 octobre.

Le Général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, pendant son coup d’état, par François Bouchot (1840)

Pendant ce temps-là, en France, ça s’agite : le 9 novembre, un général ambitieux dont vous avez peut-être entendu parler, un certain Bonaparte, fait un coup d’état. Il met en place une nouvelle constitution qui se prétend démocratique mais où tout le pouvoir est entre les mains d’un « Premier Consul », c’est-à-dire Bonaparte.

Le pas-du-tout-dictateur, qui cherche le soutien de l’ancienne noblesse, souhaite que, dans la même ligne que ce qu’il a fait en France, les orangistes soient amnistiés et qu’on supprime le serment anti-stadhouder. Cela allait à l’encontre de la toute jeune constitution. Qu’à cela ne tienne, Bonaparte en avait une nouvelle en tête.

Bonaparte, Premier Consul, par Jean Auguste Dominique Ingres (1804)

C’est ainsi qu’en 1801, après un simulacre de référendum (les 84% d’abstention ont été comptés comme des « pour » alors que le « contre » était majoritaire à plus de 75% dans les urnes), la République batave devient la « Communauté batave ». Même si le régime prétend encore être une république. (On trouve d’ailleurs encore le nom de « République batave » jusque dans les papiers officiels.)

Le directoire exécutif est remplacé par une « régence d’État », constituée de douze membres, qui dirigent le pays de manière autoritaire. On met fin au suffrage universel, remplacé par le suffrage censitaire (c’est-à-dire que seuls les riches peuvent voter). Mais, de toute façon, l’Assemblée nationale ainsi élue, rebaptisée Corps législatif, n’a aucune importance : réduite à 35 membres, elle n’a pratiquement aucun poids dans les affaires du pays.

La Communauté Batave en 1801, carte par Joostik

Par la même occasion, on rechange le découpage du pays, pour revenir aux anciennes provinces, dont les limites ont à peine été modifiées. La seule différence notable, c’est la Drenthe, qui a été fusionnée dans l’Overijssel.

Cette Communauté batave marque le retour à des postes importants d’anciens régents et d’orangistes. Et ce seront des conservateurs modérés qui auront le pouvoir durant toute son existence. Mais celle-ci ne sera pas bien longue.

En 1803, le Premier Consul se fait empereur. Et met une pression énorme sur la Communauté batave. Celle-ci doit fournir navires et hommes en quantités impossibles, pour son projet de débarquement en Angleterre.

À la grande frustration de celui qui se fait maintenant appeler Napoléon Ier, la Communauté batave ne lui donne pas ce qu’il veut. Pas de problème : en 1805, le pays a droit à une nouvelle constitution.

Rutger Jan Schimmelpenninck en grand-pensionnaire, par Charles Howard Hodges (1805)

On garde le nom de Communauté batave mais la régence d’État est remplacée par un seul homme, portant le titre de grand-pensionnaire, comme au « bon vieux temps » (sauf que cette fois, c’est son titre officiel) : Rutger Jan Schimmelpenninck.

Schimmelpenninck faisait partie des Patriotes révolutionnaires en 1785-1787. En 1795, il était l’un des meneurs du soulèvement d’Amsterdam. Lors des conflits entre unitaristes et fédéralistes, lui était dans l’entre-deux, chez les modérés. Il était pour l’unité du pays mais pour le maintien des anciennes provinces, avec une bonne dose d’indépendance de celles-ci. Devenu ambassadeur de la République batave à Paris en 1798, Schimmelpenninck devient un admirateur enthousiaste de Bonaparte lors de son coup d’état l’année suivante. En retour, le Premier Consul, maintenant empereur, le voit d’un très bon œil. D’où son parachutage en grand-pensionnaire.

Napoléon Ier, par François Gérard (1805)

Mais Napoléon va vite s’agacer : le mec ne fait rien comme il veut. Schimmelpenninck, malgré les conditions de sa prise de pouvoir, défend l’indépendance de son pays du mieux qu’il peut. Il entreprend des réformes importantes dont les Pays-Bas avaient bien besoin, notamment dans le domaine de l’éducation et de la fiscalité. Concernant les exigences françaises, il tente d’y répondre le moins possible. Il faut dire que la guerre contre la Grande-Bretagne, qui a repris, même si plus sur le territoire néerlandais, met un poids considérable sur les épaules d’un pays déjà ruiné. Schimmelpenninck fait donc tout son possible pour minimiser ce poids.

Vous pouvez deviner la suite : en 1806, nouvelle constitution ! Schimmelpenninck sera resté en place à peine plus d’un an. Pour Napoléon, il n’est plus question de laisser des Néerlandais à la tête des Pays-Bas : ce sont maintenant des Français qui vont diriger directement le pays.

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